Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'ancien blog du CDI de l'ESAAT
20 février 2013

Une histoire de la conversation 1

Je voudrais vous proposer une HISTOIRE DE LA CONVERSATION

Il s’agira essentiellement d’un compte-rendu du livre d’Emmanuel GODO (citations en italique) que je voudrais mener au moins jusqu’au XVIIème siècle. Cet ouvrage est proposé dans la bibliographie du BO. Pour chaque partie, je suggèrerai une lecture. Pour la première partie, j’ai indiqué entre crochets, sans avoir voulu être exhaustive, quelques grandes oppositions que le programme présente.

Première partie : la conversation dans l’Antiquité

La notion même de conversation est assez étrangère à l’Antiquité qui retient celle, plus floue, de dialogue ; ce n’est qu’à la Renaissance que le mot et le concept de conversation font leur apparition dans l’Europe moderne, avec la redécouverte, dans les cercles humanistes de Florence et de Venise, des dialogues de Platon et de Cicéron.

  1. Invitation à la lecture : Le Banquet de PLATON (écrit vers 384 avant JC, œuvre en grec)

    blog1

     

 

 

 

 

 

Scène de Banquet. Coupe attique, v. 480 av. J.-C. (musée du Louvre).

On emploie dans l’Antiquité le terme de « dialogue » et c’est dans le dialogue, dans l’oralité, que la pensée philosophique s’élabore. La conversation permet d’avancer dans la recherche du vrai et sert de modèle à l’écrit. L’exemple par excellence est celui du banquet platonicien mettant en scène Socrate. Platon justement a écrit un banquet (« symposion ») :

    • situation d’énonciation : Agathon vient de remporter le premier prix au concours de tragédie, une réception chez lui réunit des convives de qualité ; la proposition est faite de s’exprimer chacun à son tour sur un sujet, celui d’Eros (Amour), pour le définir. On voit que la conversation s’entend ici comme une succession de discours qui laisse chacun développer son propos sans être interrompu, et non un échange à bâtons rompus où se confrontent de façon polémique des opinions la parole est libre mais le cadre est déterminé ;

  • le but est philosophique, chacun participe à l’élaboration d’une vérité : on n’est pas dans la rhétorique (art de convaincre), même si la forme du propos a son importance et participe par le plaisir procuré au bien-être de l’assemblée ;

  • le dernier à parler est Socrate : la succession des interventions a permis de passer des demi-vérités métaphoriques et des approximations poétiques à la vérité philosophique ; la parole de vérité de Socrate procure la joie, l’ensemble de la conversation a permis de la faire désirer et d’en jouir ;

  • l’emboîtement des discours du Banquet montre que la pensée socratique est un immense bouche-à-oreille et met en lumière le statut primordial de l’oral dans la philosophie grecque.

http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/banquet.htm

  1. Les principes du dialogue platonicien

    • le moteur : une communauté de désirs, le goût de l’échange, quel que soit le degré de qualification des devisants [professionnel amateur] ;

    • le lieu : non pas l’agora (lieu du politique et de l’art oratoire ou rhétorique) mais la maison de l’ami, les rues ou la campagne [privé public ; proximité distance] ;

    • le temps : temps du loisir, du plaisir, de la construction de soi, de la mise entre parenthèses du travail et du politique ;

    • le mouvement : du léger au grave ; la déambulation est alors la métaphore du chemin de la pensée ;

    • la présence d’un meneur de jeu ; Socrate, le sage, assure le passage du ludique au sérieux ; il ne se présente pas en spécialiste du discours (sophiste) mais en maïeuticien : La maïeutique n’est pas la rhétorique, c’est l’antidote qui fait apparaître toutes les insuffisances de la rhétorique instituée. on trouve là, dès l’origine, l’une des composantes de la réflexion sur la conversation : les principes qui la régissent ne sont pas ceux du discours politique, judiciaire ou savant.

le passage au livre : il doit, dans l’écrit même, avoir les qualités de l’oral et faire participer le lecteur à la conversation philosophique [oral écrit]

  1. Le genre du banquet, véritable repas de paroles

  • Il obéit aux principes généraux de la conversation, tels que les définit Aristote au livre IV de L’Ethique à Nicomaque : l’amabilité, la vérité, l’urbanité, triade dont héritera la sociabilité classique ;

  • le genre du banquet joue sur le plaisir avant tout, plaisir d’une ivresse maîtrisée et d’un échange substanciel ; les devisants sont des convives ; la conversation, où l’on prend la parole et écoute tour à tour, sans chercher le dernier mot, est un élément de tout un art de vivre ;

  • la variété est une composante du plaisir de la conversation comme du plaisir de manger ;

  • la conversation part volontiers de circonstances présentes mais se nourrit de références au passé et de lectures, elle se situe dans un espace intermédiaire entre savoir et divertissement, mêlant érudition et grâce.

Relèvent du genre du banquet le Banquet de Xénophon (entre 391 et 371 av. JC, en grec), les Propos de table de Plutarque (deuxième décennie du IIème siècle après JC, en grec), les Nuits attiques d’Aulu-Gelle (composées entre 146 et 158 ap. JC, en grec), les Saturnales de Macrobe (Vème siècle ap. JC, en latin) où l’on trouve une analogie entre savoir et digestion : Les aliments que nous consommons pèsent sur notre estomac tant qu’ils y surnagent, en conservant leur qualité et leur solidité ; mais en changeant de substance, ils se transforment en sang et alimentent nos forces. Qu’il en soit de même des aliments de notre esprit. Ne les laissons pas entiers et hétérogènes, mais digérons-les en une seule substance.

  1. L’urbanité des Romains

Il n’y a pas de théorie de la conversation dans l’Antiquité, seulement des principes généraux (ceux de Platon et d’Aristote) mais on trouve une théorie de l’art épistolaire sur laquelle on peut s’appuyer car la lettre est vraiment considérée à Rome comme une conversation in absentia. Il est à noter que conversatio en latin désigne la fréquentation, la relation amicale. Rome compte deux grands épistoliers : Cicéron et Sénèque. [continuité discontinuité]

 

  • Cicéron distingue deux genres de lettres, le genre familier et divertissant, et le genre sévère et grave, qui peuvent correspondre aux deux types de conversation ;

  • Il distingue par ailleurs deux usages de la parole : l’usage oratoire nommé « eloquentia » auquel s’appliquent les règles de la rhétorique et se déployant dans l’espace de la cité (tribunaux, assemblées…), et l’usage privé nommé « sermo » réservé à l’espace de l’amitié (rencontres, discussions dans des jardins ou bibliothèques, lors de repas…) ;

  • La conversation, même familière, est soumise à des contraintes morales : ne pas monopoliser la parole, choisir des sujets de qualité, proscrire la grossièreté, ne pas se laisser emporter par la passion…

  • L’éloquence apparaît comme un ensemble de règles codifiées alors que la conversation s’apparente à un art plus subtil.

  • Sénèque, dans ses Lettres à Lucilius, se place davantage sur le versant sérieux de la correspondance car la lettre lui sert à développer un enseignement philosophique auprès d’un disciple ;

  • on trouve chez Sénèque l’idée que l’échange de lettres est un « échange d’âmes » et que la correspondance, qui mime l’échange de vive voix et anticipe les réactions du destinataire, est plus efficace qu’un essai monologique.

Un défaut rédhibitoire explicité par Plutarque : le bavardage. Du trop parler, qui fait partie des Œuvres morales, sera traduit au XVIème siècle et participera à la réflexion de la Renaissance sur la conversation et son idéal de sociabilité. Car le bavard brise les liens  : …chacun s’enfuit grand’erre sitôt que l’on voit approcher quelqu’un de ces grands causeurs : vous diriez promptementque l’on a sonné la retraite, si vite chacun se retire (traduction Jacques Amyot, 1559).

 

http://books.google.fr/books?id=F92-3gkvt_AC&pg=PA54&lpg=PA54&dq=amyot+plutarque+"trop+parler

 

blog2

 

 

 

 

 

Les chuchoteuses de Rose-Aimée Bélanger (rue Saint-Pierre, Montréal)

Nathalie Merlin

 

 

Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité