Le rire et la gravité
Nous sommes contents d'accueillir un nouveau collaborateur, au sein de notre équipe, Olivier Koettlitz, professeur de philosophie. Il nous proposera, de temps en temps, des comptes rendus très éclairants sur les ouvrages de philosophie dont il propose l'achat au CDI. Nous le remercions vivement de tout ce travail très stimulant. Cette semaine, il vous invite à lire un livre de Denys Riout.
RIOUT,
Denys. La peinture monochrome. Histoire et archéologie d’un genre. Edition revue et augmentée Gallimard,
2006. ( Folio Essais )
Situés
d’emblée dans l’univers de l’art, les premiers « vrais » monochromes
découlent d’une réflexion et d’une pratique picturale confrontées à la mort de
l’art, une mort envisagée non pas comme une possibilité redoutée, une
spéculation philosophique ou un événement à venir qu’il serait encore temps de
conjurer, mais comme un fait accompli avec lequel il faut compter, pour de bon.
Denys Riout (p. 424)
C’est un
livre-somme qui n’est pas assommant. Ce n’est pas à proprement parler un livre
de philosophie mais un livre d’histoire nourri de philosophie (notamment par
les références à Danto et Foucault) qui se lit, se dévore comme un roman russe
de la grande époque ou comme un roman américain contemporain. La peinture
monochrome fait plus que l’histoire du monochrome, il en fait aussi la
généalogie ; et l’auteur reconnaît alors sa dette à l’égard de Michel
Foucault[1].
En lisant cette partie de l’histoire plus souterraine, on goûtera les
productions drolatiques d’Alphonse Allais et d’autres artistes facétieux qui
constituent des jalons essentiels dans ce « parcours en zigzag »[2]
qui commence par le Maître incontesté du genre : YK – comme si le
monochrome oscillait entre le comique, la farce de potache et la tentation de
l’absolu. « Du genre » en effet, car c’est là la thèse principale du
travail de Denys Riout, thèse discutable et discutée selon laquelle le
monochrome est bel et bien devenu un « genre »[3].
Qu’il en soit ainsi ne permet cependant pas d’en conclure à une quelconque
essence de ce genre. Le monochrome « échappe à toute tentative de
définition ontologique. »[4]
Cette impossible réduction est une chance pour l’historien et son lecteur, elle
rend possible un cheminement marqué au coin de la diversité, ce qui, on en
conviendra, n’est pas le moindre des paradoxes pour une pratique trop souvent
suspectée de générer la monotonie et l’ennui.
La
lecture, plume à la main, de cet ouvrage s’avère naturellement indispensable
pour tous nos étudiants.
Olivier Koettlitz
[1] Cf. Denys Riout, La peinture monochrome, Gallimard, Folio essais, rééd revue et augmentée 2006, note 85 de la page 525.
[2] Ibid, p. 428.
[3] Ibid, p. 18 sq. Et pp. 427-428.
[4] Ibid, p.431.